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I Un lourd et épais brouillard enveloppe le village de ses
ouates. II Les poules et les coqs ont repris possession du fumier
leur domaine, et déjà une pondeuse nichée dans la paille jette son coqodac guttural et
strident. De lourds chariots font grincer le gravier du chemin et les fouets retentissent.
La mèche du bonnet blanc sur l'oreille, la bêche sous le bras, l'homme est parti aux
champs... III Tic toc font les sabots en cadence, et les oreilles
droites, la queue frétillante, le poil ébouriffé, fièrement tu portes au marché
l'Achicourienne et ses légumes! IV Hue donc, bourriquet, ou gare au bâton!
Déjà derrière le moulin de pierre, le soleil monte, et l'alouette a jailli du sillon ;
déjà Arras est éveillé et, sur le pas de sa porte, la bourgeoise impatiente t'attend
pour mettre son pot au feu. V Jamais de mémoire d'âne on n'avait vu
d'aussi beau marché que celui qu'on appelle encore « Ch'tiot rnarké », bien
que nous n'y soyons plus. Elle était à nous toute entière, à nous d'un bout à l'autre
la Petite-Place! C'est là qu'au milieu des choux, des carottes, des navets, des poireaux,
des pommes de terre, qu'Achicourt tenait ses grandes assises. Les paniers déchargés, la
bride et le bât enlevés, nous défilions devant les gamins qui levaient de grands bras
et au petit trop, sous la conduite de l'échevelé Baptiste, nous gagnons notre
vénérable hôtel. VI Derrière l'hôtel de ville, sur une
placette, entourée de chétives maisons que l'on appelle la Place de la Vacquerie, se
tient aujourd'hui le marché aux légumes. Le samedi assemblée plénière, Eléonore,
Marie-Rose, Élisabeth, Rosalie, Léocadie, Fanny et toutes celles de chez nous qui n'ont
pas le temps de dire « ouf ». Belles demoiselles qui jouent à la ménagère, bonnes
ménagères qui font la dame, servantes peu pressées, voire même quelques Messieurs font
leurs emplettes. VII Robustes filles d'Achicourt dites-nous
pourquoi aux plus beaux jours de fête du bonnet tuyauté vous ne parez plus votre tête ?
Pourquoi vous ne portez plus tricot de laine et jupons courts ? Comme vos mères qui
reposait autour du vieux clocher, vous tournez et retournez pourtant la terre, et comme
elles, vous devriez être légères et court vêtues. VIII Champs, chaumières, et toi, vieille cité,
et vous tous qui avez connu notre grandeur, soyez témoins de notre ignominie!... Une
ignoble et lourde charrette peinte en vert s'abat chaque matin sur notre échine ; un
brancard nous emprisonne ; et Madame l'Achicourienne largement assise sur une
chaise, nous fait traîner par la ville les légumes et ses longs jupons. IX Ainsi va le monde, toujours changeant, toujours cherchant et toujours misérable! Toi seule, ö Nature, douce et bonne mère, est éternellement la même! Sans cesse aux ingrats qui nous avilissent tu donnes de savoureux légumes ; et, pour l'âne, tu sèmes à pleines mains des chardons dans l'herbe des chemins. |
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ACHICOURT Regards sur le passé. |