Léopold Bernard | Julia Marie Antoinette Rainaud | Adam de la Halle |
Léopold Bernard a été instituteur pendant 30 ans à Achicourt. A ce titre, il a marqué son époque. Mathieu Augustin Léopold Bernard est né le 29 août 1856 à Raye-sur-Authie (Pas-de-Calais). Son père, Jean-Baptiste Martin, 36 ans, était meunier et sa mère Godefrine Adélaide Fusillier, 27 ans, ménagère. A part son père, meunier, tons ses ancêtres sont des petits paysans : son grand-père, Nicolas Mathieu Faustin est ménager et son arrière-grand-père Jean François, manouvrier, c'est-à-dire de tous petits cultivateurs qui souvent se louaient sur les terres des paysans riches. On a ici le cas d'une petite ascension sociale : manouvrier, ménager, meunier, instituteur. Mathieu Augustin Léopold Bernard, qu'on appellera Léopold, sa signature et plusieurs écrits le confirment, fait ses études primaires à l'école publique de Raye. Et sans doute, devant son "bon maître" rêve-t-il de devenir comme lui. Pour devenir instituteur, "il faut des parents éclairés, peu instruits sans doute.... mais qui regrettent leur ignorance...", il faut avoir été bon élève, avoir été remarqué déjà par son maître. Bernard signe un engagement décennal dans l'enseignement en vue de la dispense du service militaire, allant du 30 décembre 1876 au 31 décembre 1887. Il commence sa carrière comme suppléant à Fleurbaix, puis comme instituteur adjoint à Buire-le-Sec. Ayant obtenu le brevet élémentaire en mars 1877 à Arras, il est titularisé l'année suivante à Campigneulles-les-Grandes, et arrive enfin à Achicourt en octobre 1879, où il reste jusqu'à sa retraite le 30 septembre 1909. Il n'est pas normalien, pour la bonne raison que l'École normale d'Arras n'a ouvert qu'en 1883, mais il y a suivi des cours, il obtient d'ailleurs le certificat d'aptitude pédagogique en juillet 1887 à Arras. Installé à Achicourt en octobre 1879, il épouse le 1er juin 1880 Angélina Joseph Bienfait, née à Achicourt le 1er mai 1854, fille d'Honoré Bienfait, menuisier, et de Marie-Guislaine Beugnet. De ce mariage vont naître deux filles : la première, Yolaine Emilienne Angélina, née en 1881, va mourir à l'âge de 9 ans, le 23 novembre 1890. La seconde Fernande, née le 5 janvier 1886. Il perd sa femme Angélina qui meurt le 23 février 1909 à Achicourt, l'année même où il prend sa retraite. Après l'enterrement de sa femme au cimetière d'Achicourt où il achète une concession perpétuelle le 5 avril 1909, il se retire dans une maison de la rue de l'Église à Achicourt. Il meurt à Boulogne-sur-Mer, le 13 janvier 1925, chez sa fille, rue du Vert Galant, où il s'était retiré après une paralysie générale. Il a été enterré au cimetière d'Achicourt dans la tombe familiale. L'École normale d'Arras n'ayant ouvert qu'en 1883, Léopold Bernard a donc commencé sa carrière sans aucune formation. Ses premières inspections ne sont guère brillantes. On le montre comme "désireux de bien faire", "bien considéré", mais "il ne sait enseigner ni l'écriture, ni le chant, ni le dessin". Il fait dispenser les cours de gymnastique par un ancien sous-officier du Génie ! D'un rapport d'inspection dépend un changement d'école : pour beaucoup, changer d'école, c'est être mieux payé dans un village ou une ville plus grands. Bernard, lui, n'a jamais voulu quitter Achicourt après sa nomination. Il parachève sa formation à travers la lecture du "Journal pédagogique", et obtient son certificat d'aptitude pédagogique en 1887, onze ans après ses débuts. Cette même année, il obtient la direction de l'école par arrêté du 25 octobre 1887. Non seulement Bernard doit apprendre son métier pratiquement sur le tas, mais il doit lutter contre de nombreuses difficultés matérielles : en 1885, il pleut dans sa classe ; en 1891, la cour de récréation est en mauvais état, le mobilier scolaire n'est renouvelé qu'en 1894. Léopold Bernard s'applique malgré tout à créer des activités annexes à l'enseignement : une bibliothèque qui s'accroît régulièrement, un musée scolaire, une caisse d'épargne scolaire, une caisse des écoles .... Cette dernière voit le jour le 14 mai 1882, en exécution de la loi du 28 mars précédent.
Durant toute sa carrière, il se heurte à l'absentéisme très fréquent des élèves A cette époque, il réussit à le limiter: en 1889, l'inspecteur est "heureux de constater le petit nombre d'absences ...". C'est que l'école de garçons d'Achicourt (comme celle des filles) présente un réel attrait pour les enfants, et les familles se gardent bien de retenir leurs enfants pour des motifs futiles... M. Bernard et Mlle Rainaud sont à eux seuls la loi d'obligation, C'est la meilleure. Ainsi, en 1891 , il n'y a que 9 absents sur 99 inscrits. Cependant, les petits Achicouriens continuent à s'absenter durant l'année scolaire pour les premières communions, les confirmations, les lendemains de fête et surtout au moment des récoltes. On note également à plusieurs reprises des épidémies qui éclaircissent les rangs, le 10 mars 1900, le 21 février 1902, le 9 janvier 1907... Les progrès de Léopold Bernard sont accomplis en face de classes surchargées. Le nombre total d'élèves varie entre 89 et 1891 et 121 en 1906. Les élèves sont répartis en trois niveaux : cours préparatoire de 5 à 7 ans, cours élémentaire de 7 à 9 et cours moyen de 9 à 11 ans. Pendant trois ans de 1879 à 1882, Bernard est tout seul pour une moyenne de 100 élèves inscrits, même avec l'absentéisme chronique, il a fort à faire ! En 1882, on crée un poste d'adjoint, ce qui partage les effectifs, mais pas équitablement puisque Bernard conserve pour lui le cours élémentaire et moyen, soit près de 60 élèves dont l'âge varie de 5 à 13 ans. En dehors de l'école, Léopold Bernard partage son temps entre la recherche historique et sa fonction de secrétaire de mairie. Comme bon nombre d'instituteurs à cette époque, Bernard occupe cet emploi qui lui permet d'arrondir ses revenus. En 1884, le secrétariat de mairie lui rapporte 350F par an pour un salaire de 1000F, en 1908, c'est 700F par an qui s'ajoute à son traitement de 2200F, ce qui n'est pas négligeable. En fait, Bernard comme ses confrères doit cumuler les fonctions annexes pour survivre : secrétariat de mairie et cours d'adultes sont les bienvenus. Régulièrement, un tiers des revenus provient de suppléments divers. L'instituteur, bien que jalousé, est souvent dans une situation matérielle critique, l'ouvrier typographe ou le métallo parisien gagnent deux fois plus. Si le secrétariat de mairie est rentable, à Achicourt il l'est avec 1/3 de la valeur du salaire, si les cours du soir fonctionnent bien, si les parents d'élèves multiplient les petits cadeaux, tout va déjà mieux. Non seulement le secrétariat de mairie est un complément financier vital, mais c'est aussi un moyen de jouer un role important au sein de la commune, Bernard est un peu l'éminence "grise" du maire. De fait, l'écriture ou la signature de Bernard apparaissent dans bon nombre d'actes officiels : état-civil, registres fiscaux, procès-verbaux d'élections.... Léopold Bernard n'a jamais sollicité de mandat municipal de la part des Achicouriens. II correspond en cela à beaucoup de ses collègues qui ne veulent pas s'inféoder à un parti politique ou à un groupe d'élus, ne fut-il que celui des conseillers municipaux. Le dévouement de Léopold Bernard envers la commune est grand jusqu'à sa démission de secrétaire de mairie le 3 octobre 1909. En 1898, il a créé une association des Anciens Élèves de l'école de garçons d'Achicourt. Ses buts sont de "perpétuer les relations amicales nouées à l'école par des réunions instructives et amusantes, de venir en aide aux Anciens Élèves ... recommandables par leur conduite, d'encourager les écoliers les plus méritants, la fréquentation scolaire et I'assiduité aux cours du soir...". Léopold Bernard, à travers les témoignages que l'on possède est le type même de l'instituteur de la IIIème République, des débuts de l'école laïque, de la période où la France vaincue en 1870 ne rêve que de reprendre l'Alsace-Lorraine. Léopold Bernard est patriote et républicain jusqu'au fond de l'âme. Les témoignages le prouvent, sa monographie aussi. II montre à certains moments sa nostalgie du temps passé, notamment à propos des traditions et des coutumes "hélas! de ce beau passé, il ne nous reste qu'un pieux souvenir...". Plusieurs fois, malgré sa réserve habituelle, il souligne les difficultés matérielles dans lesquelles il travaille : "Pauvre instituteur ! fais de ton mieux dans ta petite classe, étiole-toi comme des légumes en cave..." laisse-t-il échapper devant le refus du conseil municipal d'agrandir l'école. Lorsque celui-ci revient sur sa décision, il la qualifia de "très bien inspirée". Son travail obscur est cependant récompensé à plusieurs reprises. D'abord dans le cadre de son enseignement, il reçoit les félicitations de l'inspecteur d'académie le 31 janvier 1888, huit jours seulement après la proposition de l'inspecteur primaire. Le 8 mars 1894, l'inspecteur d'académie lui décerne une médaille d'argent pour "le zèle apporté pendant l'année 1893 à l'uvre des bibliothèques scolaires". Enfin, on sait qu'il a reçu les Palmes Académiques, cette distinction est gravée sur sa tombe: "Instituteur honoraire, officier d'Académie".
On a affaire ici à un travail sérieux sur l'histoire d'une petite commune du Pas-de-Calais, qui a beaucoup souffert de vivre à l'ombre d'Arras, mais qui a su conserver des traditions et une originalité propres. Tous les éléments marquants de son histoire sont passés en revue, l'étude de la démographie est remarquable. Son travail de recherche historique a été récompensé. Il a été exposé à l'Exposition Universelle de Paris en 1900. II est difficile de connaître les goûts et les autres activités de L. Bernard, mais on sait qu'il a effectué au moins un voyage à Paris dont il a ramené des photographies prises lui-même. On trouve dans un petit album de photos des vues de la Place de la Concorde, de la Bourse, des Buttes Chaumont, de la statue du Sergent Bobillot et une photographie prise de la fenêtre du 26, rue du Caire, sans doute où il a résidé lors de son voyage. Cet album comporte aussi d'autres clichés pris dans le Pas-de-Calais. On y trouve le Mont Saint-Eloi. Ainsi, Léopold Bernard fait des essais photographiques à une époque où on se contente souvent du portrait souvenir, il n'hésite pas à prendre des instantanés, des scènes de rue..... On trouve aussi dans son album la mairie-école d'Achicourt, le temple, une chapelle, le moulin d'Agny et des photographies des environs de Lacres près de Samer. II s'y rendait souvent chez son cousin instituteur. Des clichés représentent des champs, l'école de Lacres, une ferme et des scènes de moisson où l'on distingue quatre moissonneurs travaillant à la faux. Sa monographie est également illustrée par plusieurs photos prises par lui. Cet instituteur modèle n'est pas tout il fait tombé dans l'oubli puisqu'en 1982, la municipalité d'Achicourt a donné son nom à une nouvelle école. |
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